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Une luth pour la vie

Caroline Lepage

   Fragiles, les tortues luth sont en danger. Leur préservation n'est pas une option mais un impératif. Si nous échouons, alors de pareils spectacles feront bientôt partie du passé...

   Ce soir, du côté de Cayenne en Guyane, la nuit étoilée de juillet se reflète sur la surface tranquille de l'océan, lorsqu'une silhouette vient briser la régularité des vaguelettes déferlant sur la plage. Corps massif, long d'au moins 1,60 m, carapace dépourvue d'écailles : aucun doute, il s'agit d'une tortue luth, en réalité pas si coriace que ne le laisse penser son nom latin Dermochelys coriacea (référence à sa peau en sorte de cuir).

   Avec peine, elle quitte la légèreté que lui assure le milieu aquatique pour se soumettre aux dures lois de la pesanteur. Elle supporte la contrainte car l'enjeu est de taille : elle vient là pour assurer la pérennité de son espèce. Se hissant péniblement dans le sable grâce à ses nageoires antérieures, son souffle rauque trahit la difficulté de tirer le poids d'un corps de plus de 600 kg. Pourtant tenace, elle parvient jusqu'aux premières végétations rampantes de la plage, puis balaye la zone. Enfin, elle commence à creuser soigneusement avec ses pattes arrières...

Atterrissage en douleur

   Une demie-heure plus tard, un à un, elle laisse échapper une centaine d'œufs qui s'empilent dans le trou de 80 cm de profondeur. La ponte terminée, elle comble la cavité à l'aide de sable et masque comme elle le peut ce berceau improvisé. De grosses larmes coulent de ses grands yeux noirs, lesquelles ne résultent pas de la douleur de l'événement mais de l'obligation de les hydrater et d'en évacuer le sel de mer. Il est temps à présent pour elle de repartir vers son destin.

   Instinctivement, elle retrouve le chemin de l'océan. Elle reviendra ici dans une vingtaine de jours accomplir une nouvelle fois sa mission. Sur la plage, la vie nocturne reprend ses droits. Le vent fait frissonner les feuilles des cocotiers, bruissement qui peine à masquer les bourdonnements incessants des nuées d'insectes ivres d'excitation dans l'humidité ambiante. Quelques crabes sont en quête d'un éventuel repas, sans savoir que celui-ci n'est pas bien loin.

Direction le grand bain

   A un mètre à peine de l'emplacement du nouveau nid, un phénomène curieux est en train de se produire. Le sable semble s'effondrer sur quelques centimètres, lentement d'abord lorsqu'il se met soudainement à grouiller littéralement. Une tête à droite, une patte, plus loin là sur la gauche, deux autres là-bas ! Bientôt des dizaines de luth miniatures jouent des coudes pour s'extirper du nid qu'elles occupaient depuis bientôt deux mois, à l'abri dans leur coquille. Quelle cohue ! Ces mini-tortues mesurent 7 centimètres au plus, et sont pleines de dynamisme.

   Pour elles, la course commence. Hors de question de traîner à terre : de trop nombreux dangers les guettent (quoiqu'en mer, il leur faudra éviter les requins et tous les autres gros poissons prêts à les avaler toutes crues). Les plus débrouillardes filent à l'eau directement, évitant les pinces affûtées des crabes. Certaines font de grands détours, s'exposant sans le savoir à de féroces prédateurs : les chiens, les oiseaux et les hommes. Chacune d'elles sort à peine de l'œuf qu'il lui faut déjà fermement lutter pour survivre. Et quel trésor que celui de la vie d'une luth...

Pourquoi les mouches aiment-elles les crottes ?
Caroline Lepage


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